La publication du rapport Duclert et de la version finale du rapport Muse illustre l'intérêt de la notion d'hyperespace cindynique qui permet de décrire les acteurs concernés par une situation de danger ou de conflit, leurs organisations et leurs comportements.
L'entité de base lors d'une analyse cindynique est l'acteur, qui peut être individuel, ou collectif. Chaque acteur est décrit par cinq aspects ou dimensions: données, modèles (ou, plus largement, connaissances), objectifs, règles et valeurs. Ces cinq dimensions constituent son hyperespace cindynique. Historiquement, un premier espace formé par les dimensions données, modèles et objectifs a été inspiré par Herbert Simon, puisque l'évolution des situations dépend des décisions des acteurs, qui dépendent des informations et savoirs dont ils disposent. Puis les dimensions règles et valeurs ont été ajoutées quand le rôle de ces dimensions a été mis en évidence par les rapports post-catastrophes.
Si l'analyse de ces dimensions permet de diagnostiquer des lacunes ou déficits dans chacunes d'elles, il est important de remarquer que les plans formés par ces dimensions sont le lieu d'analyse des relations entre ces dimensions. Par exemple, la décision d'un acteur, donc son objectif, dépend de ses connaissances, qui sont limitées: c'est l'idée principale de la rationnalité limitée conceptualisée par Herbert Simon.
Mais la relation peut aussi être dans le sens contraire: la connaissance produite par un acteur peut dépendre de ses objectifs: par exemple, dans le cas du rapport Muse, l'analyste peut remarquer que ce rapport a été demandé par le gouvernement rwandais à un cabinet d'avocats états-unien. Cela permet de poser immédiatement deux questions relatives à l'impact des objectifs de ce cabinet sur le contenu de son rapport. La première est celle de la neutralité du discours d'un avocat vis-à-vis de la demande de son client. La seconde découle du fait que ce cabinet est états-unien: le fait que le rapport Muse dénonce une responsabilité française tout en omettant les comportements des autres membres de l'ONU peut avoir pour avantage d'offusquer le rôle crucial qu'a joué la directive présidentielle confidentielle PDD 25 émise par l'administration Clinton dans l'incapacité de l'ONU à décider d'une intervention qui aurait permis de faire cesser immédiatement le génocide.
S'agissant des données, la commission Duclert mentionne elle-même dans son exposé méthodologique d'importantes lacunes statistiques, puisque les seules sources accessibles étaient les archives écrites françaises, et que l'absence d'archives orales a limité la portée de ses travaux. Consciente des limitations et erreurs de son rapport, et les assumant, la commission espère cependant que sa publication favorisera l'émergence de nouveaux témoignages. Cet espoir est partiellement exaucé par une récente interview d'Edouard Balladur, qui était Premier ministre en 1994, au cours de laquelle il a en particulier évoqué les actions obstructives de Madeleine Albright à l'ONU vis-à-vis des demandes d'intervention de la France.
Un autre problème du rapport Duclert est la lisibilité de certains passages. D'un point de vue cindynique, l'information sémantique est ce qu'un acteur est capable d'extraire de données avec les connaissances dont il dispose: le plan cindynométrique formé par les axes données et connaissances accueille l'ensemble de cette problématique données /informations /connaissances. Lorsque des acteurs ne disposent pas des mêmes connaissances, il y a une relativité (ou subjectivité) de l'information sémantique extraite à partir d'un même ensemble de données. Dans le cas du rapport Duclert, il n'est pas évident que le public dispose des mêmes connaissances théoriques que la commission, ce problème se posant notamment avec l'ambigüité de l'expression "grille de lecture ethniciste" dont les auteurs du rapport ne communiquent pas le sens précis qu'ils lui accordent. Alors que la distinction Hutu/Tutsi pré-génocidaire apparaît comme ayant été forgée par le colonisateur belge à partir de caractéristiques socio-économiques intiales, puis intégrée par les élites rwandaises, au-delà du cas particulier rwandais, cette ambigüité pourrait susciter une généralisation menant à négliger le fait ethno-culturel en Afrique. Si les situations réelles y sont complexes et multifactorielles, et ne peuvent être analysées uniquement selon une dimension ethno-culturelle, en revanche ignorer le fait ethno-culturel ne peut qu'aller à l'encontre de la réduction des conflictualités et de la défense des diversités.
Un dernier risque, lié à une relation objectifs /connaissances, concerne l'utilisation à des fins politiques ou diplomatiques de travaux scientifiques commandés par Emmanuel Macron à des universitaires français: de ce point de vue, le Président français risque d'apparaître comme ayant adopté une posture positiviste. Le problème d'une posture positiviste étant que lorsqu'elle est adoptée par un pays qui a été colonisateur vis-à-vis d'un pays qui a été colonisé, elle peut être perçue comme une posture néo-colonialiste. Ce dernier risque peut être mitigé par la relativisation du rapport Duclert, ce qui peut être facilité par le fait que la commission a elle-même insisté sur l'imperfection et les erreurs de son rapport.