De nombreux acteurs perçoivent et décrivent le transport aérien comme le mode de transport le plus néfaste en s’appuyant sur l’intensité carbone, donc en gCO2e par kilomètre et par passager. Des chiffres très variables sont proposés : par exemple 55 g CO2/passager.km pour une voiture, et 285 pour l’avion1 . Les perceptions de la situation réelle construites sur ces chiffres mènent à des flux informationnels et des opérations d’influence ciblant le secteur aérien. Le gouvernement britannique présente d’autres chiffres : 246 g CO2/passager.km pour un vol intérieur, 170 pour une voiture essence, 148 pour un vol long courrier, ou 47 pour une voiture électrique2 , ces chiffres étant corrigés pour tenir compte des effets radiatifs hors CO2 des avions, tels que les trainées de condensation3 . Selon ces chiffres, l’intensité carbone d’un vol long courrier serait donc inférieure à celle d’une voiture à essence.

Quoi qu’il en soit, des disparités bien plus importantes existent, puisque les descriptions basées sur l’intensité carbone masquent une réalité incontournable dès qu’il s’agit de réduire les dégénérescences téléologiques et de fixer les priorités des politiques de transition énergétique : les quantités réelles de gaz à effet de serre (GES) émis par les différents modes de transport.

Pour la France, le rapport Citepa 2024 indique que le transport routier national en France a émis 119,2 millions de tonnes de CO2e en 2023, et le transport aérien national 4,5 (Figure 1), le transport aérien international partant de France ou y arrivant ayant émis 16,3 millions de tonnes de CO2e. Cela étant ces émissions internationales regroupent les émissions du fret et du transport de passagers, la DGAC indiquant4 par ailleurs que 56 % des passagers des vols internationaux résident en France, et 44 % à l’étranger. Il conviendrait donc de soustraire à ces 16,3 millions de tonnes de CO2e les émissions attribuables au fret, et aux 44 % de passagers résidant à l’étranger.

Par ailleurs, le rapport Citepa suit les exigences de reporting de la CCNUCC, et ne prend pas en compte les effets climatiques des traînées de condensation : l’estimation du forçage radiatif dû aux effets non-CO2 est incertaine, certains auteurs considérant qu’il pourrait représenter 66 % du forçage total de l’aviation5 . Finalement, en prenant en compte toutes ces précisions, il apparaît que le transport aérien émet en réalité considérablement moins de GES que le transport routier, et ne peut pas être décrit comme le mode de transport le plus néfaste.

Par ailleurs, une proposition de limitation pour chaque individu à quatre voyages aériens dans sa vie, reposant sur l’idée que le transport aérien est le privilège d’une certaine élite, a créé une polémique. En pratique, une telle mesure nuirait à de nombreuses personnes : une fois ce quota atteint, un travailleur humanitaire ne pourrait plus faire de mission, et les expatriés et les diasporas ne pourraient pas revoir leur famille. S’agissant de la France, cela génèrerait une conflictualité majeure avec les outre-mers : le groupe d’initiative de Bakou6 utiliserait sans doute immédiatement cette mesure pour renforcer son discours rétrocolonialiste et exacerber les divergences et conflictualités aux Antilles et en Nouvelle-Calédonie. Conscient de l’importance de la continuité territoriale avec les outre-mers, le Secrétariat général à la planification écologique, a d’ailleurs sagement rappelé la nécessité de maintenir et développer7 les vols vers ces destinations.

En revanche, les utilisateurs de jets privés seraient les premiers à échapper à ces quotas puisqu’il est aujourd’hui possible de construire des avions légers électriques, ce qui est impossible pour l’aviation commerciale en raison du poids des batteries. D’où la nécessité de renforcement des politiques de développement de la filière hydrogène, indispensable au développement d’une aviation commerciale décarbonée, et, par ailleurs, à une réelle souveraineté énergétique.

Des mesures aussi extrêmes que l’interdiction du voyage aérien reposent sur une représentation partielle, et idéologisée du réel (i.e. d’une subjonction axiologique). Ce type de discours peut nuire à l’image globale des acteurs de la transition énergétique et générer des divergences qui diminueraient l’adhésion du public aux politiques de transformation nécessaires à lutte contre le réchauffement climatique, ce qui réduirait la puissance des acteurs politiques en charge de la transition.