Mioara Mugur-Schächter, au-delà de la Mécanique Quantique

Face à l’incertitude radicale, aux conflits cognitifs et à la complexité croissante des interactions humaines, les sciences sociales sont confrontées au défi de formaliser rigoureusement les dynamiques de pouvoir, de perception et d’adaptation. Dans ce contexte, la Méthode de Conceptualisation Relativisée (MCR1), développée par Mioara Mugur-Schächter dans le cadre de ses recherches en Mécanique Quantique, offre un cadre structurant pour la construction de modèles intégrant la relativité des perceptions et des représentations. MCR est une méthode de conceptualisation issue d’une réflexion épistémologique sur une discipline où l’accès aux phénomènes est limité et où la formalisation joue un rôle central. Son extension aux sciences humaines et sociales, via les Cindyniques Relativisées, illustre son potentiel pour analyser des phénomènes complexes sans céder aux analogies ou conjectures issues du quantum turn.

Avant de concevoir MCR, Mioara Mugur-Schächter a notamment invalidé la thèse de von Neumann affirmant l’impossibilité de variables cachées en Mécanique Quantique. Comprendre les relations entre Cindyniques, dont les modélisations sont construites avec MCR, et Mécanique Quantique nécessite donc de s’intéresser plus en détails à l’évolution des travaux de Mioara Mugur-Schächter, et à leur portée réelle.

Mioara Mugur-Schächter commence sa carrière de physicienne en Roumanie, à l’époque de la guerre froide. Ayant réussi à accéder au livre dans lequel von Neumann expose sa thèse, elle entreprend d’en démonter l’invalidité. En raison de la situation politique, elle démissionne de son poste, mais parvient à faire parvenir sa démonstration à Louis de Broglie, qui décide de l’inviter en France pour y réaliser une thèse. C’est ainsi que Mioara Mugur-Schächter arrive en France, où elle peut mener cette thèse, sous la direction de Louis de Broglie, qui en soulignera2 les qualités exceptionnelles. Elle obtient ensuite un poste à l’Université de Reims, où elle se consacre à la Mécanique Quantique. Il est intéressant de remarquer que Louis de Broglie est le père de la dualité ondes corpuscules, qui montre la possibilité de coexistence de deux modèles différents d’un même phénomène physique, ce qui, tout comme la thèse de von Neumann, pose la question des modèles. Mioara Mugur-Schächter entreprend ensuite de s’intéresser au processus même de construction des modèles et commence à concevoir une méthode de conceptualisation relativisée, et, ce faisant, tout en continuant à faire de la Mécanique Quantique, elle entre dans le domaine de l’épistémologie. MCR peut être utilisée dans le domaine de la Mécanique Quantique, mais c’est une méthode épistémologique, de portée générale, qui va bien au-delà de la Mécanique Quantique.

Au milieu des années 1990, Georges-Yves Kervern découvre MCR, qui à cette époque est connue sous le nom de théorie de la description. À la suite d’échanges avec Mioara Mugur-Schächter fin 1994, la première modélisation MCR d’une situation de danger est élaborée. Par la suite, la nécessité de prise en compte spécifique des situations non consensuelles, en particulier dans le domaine de l’information, mène à étendre ces premières modélisations MCR. Dans un premier temps, une relativisation de la notion de situation mène à des modèles du second ordre3 et à la formalisation de la notion de spectre de situations relatives. Puis une relativisation de la notion de spectre, notamment liée à la relativité de la perception des puissances, mène à des modèles d’ordre trois4, permettant de décrire les dynamiques de mobilisation, ou insurrectionnelles, ou de coups d’État5. Mioara Mugur-Schächter propose de regrouper sous le terme Cindyniques Relativisées l’ensemble des modélisations d’ordre supérieur à un. Elle continue6 par ailleurs à faire évoluer sa méthode, et les modélisations cindyniques prennent en compte les évolutions 2022 de MCR.

Par ailleurs, les sciences sociales ont connu un quantum turn, supporté notamment par Alexander Wendt, qui défend l’hypothèse pan-psychique selon laquelle la conscience serait une propriété quantique de la matière. Pour Wendt cette proposition serait justifiée par l'absence de théorie de la conscience7. Et, dans le domaine de l’ingénierie politique, des chercheurs russes tentent aussi d’utiliser des modèles issus de la Mécanique Quantique, en modélisant les opérations de déstabilisation8 comme des oscillateurs dont le nombre de modes d’oscillation augmente avec l’énergie qui leur est fournie, le flux de financement des mouvements d’opposition jouant le rôle de l’énergie. Ces démarches consistent à tenter de transplanter des lois ou modèles issus de la Mécanique Quantique dans un autre domaine. Ce n’est pas du tout la démarche cindynique : les modèles cindyniques sont des descriptions spécifiques des phénomènes de danger, formalisées avec MCR, qui est une méthode épistémique sans équivalent, et de portée générale. Penser que les Cindyniques sont directement liées à la Mécanique Quantique, et auraient succombé à la mode du quantum turn, serait ne pas comprendre que les travaux de Mioara Mugur-Schächter ne se limitent pas à la Mécanique Quantique.

Nombre d’acteurs, en particulier dans le domaine des sciences humaines, sont intimidés par l’aspect mathématique de MCR. C'est par exemple le cas pour Edgar Morin, ou certains universitaires en Afrique de l'Ouest, où les mathématiciens, à l'inverse, ne sont pas gênés par cet aspect. En pratique MCR n’est pas une méthode ou un langage mathématique : c’est un langage épistémique, qui permet de formaliser librement et rigoureusement un phénomène, quel qu’il soit. Pour les Cindyniques, cela a permis de formaliser, notamment, les notions de résilience, de pouvoir9, de puissance, et de diversité10. En pratique, il n’est pas du tout nécessaire de connaître la Mécanique Quantique pour formaliser des concepts avec MCR : après un apprentissage initial, l’usage de la méthode est assez simple, et peut ressembler à l’utilisation d’un langage orienté objet. Le résultat est que les concepts sont rigoureusement formalisés, ce qui donne au concepteur une solide confiance dans les modèles produits, qui émergent progressivement et naturellement à chaque étape de description.

D’un point de vue opérationnel, les modèles cindyniques peuvent être utilisés de deux façons : soit sans aucune connaissance préalable de MCR, soit, au besoin, après un apprentissage de MCR permettant aux utilisateurs d’étendre les modélisations pour qu’elles correspondent mieux aux situations spécifiques auxquelles ils sont confrontés. Grâce à MCR les Cindyniques sont ainsi non seulement rigoureusement formalisées, mais aussi librement adaptables, et cette adaptabilité favorise l’appropriation des modèles, et, partant, leur usage.

Enfin, d’un point de vue conceptuel, MCR, a permis l’émergence des Cindyniques Relativisées, qui mènent à définir de façon plus large l’objet des Cindyniques : la dynamique des interactions humaines, ce qui le rapproche ainsi de celui des sciences sociales. Grâce à MCR, cela permettrait de proposer une approche formelle des sciences sociales. Et c’est exactement ce que Mioara Mugur-Schächter avait envisagé lors de la conception de MCR.