Les Cindyniques ont parfois1 été présentées à tort comme reposant sur l'utilisation des probabilités. Non seulement il n'en est rien, mais il s'agit là du pire contre-sens que l'on puisse faire puisque le dépassement des approches probabilistes est précisément ce qui a permis l'émergence du concept fondamental central des Cindyniques : la maîtrise des propensions.
Pour mieux comprendre cela, il suffit de considérer un mouvement épistémique de sens contraire: celui par lequel Claude Lévi-Strauss a donné naissance au structuralisme à partir de considérations diamétralement opposées.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les mathématiques bénéficiaient d'une image très positive, notamment grâce au développement de la cybernétique ou de la mécanique quantique. Lévi-Strauss souhaitait pouvoir utiliser lui aussi les probabilités en anthropologie.
Mais l'utilisation légitime des probabilités imposait des contraintes2 qui l'ont poussé à importer la notion de structure, dont la principale caractéristique, la stabilité, permettait de garantir une stabilité de résultats compatible avec l'usage rigoureux des probabilités. Le structuralisme venait de naître, et avec lui une vision particulièrement statique des situations, résultant directement de ce choix méthodologique initial, et laissant peu de place à la prise en compte de l'agentivité, ou -en termes cindyniques- de la puissance des acteurs sur les situations.
A l'inverse, Georges-Yves Kervern, fondateur des Cindyniques, et Directeur Adjoint du groupe d'assurance UAP, considérait en pratique les probabilités comme une "zone conceptuelle encore mal décantée"3. Vous pouvez par exemple lancer mille fois de suite une pièce en l'air dans un laboratoire, pour voir si elle retombe du côté pile ou du côté face. Mais peut-on lancer mille fois de suite l'Egypte en l'air pour voir si elle retombe du côté révolution ou pas?
Un exemple : en 2001 Hegre et al., s'appuyant sur des données couvrant deux cents ans d'histoire, proposent une représentation du risque de guerre civile4 dans un pays en fonction de la longévité du régime considéré et de son niveau de démocratie. Cette représentation tri-dimensionnelle du risque de guerre civile mène à une surface où ce risque est minimum en particulier lorsque le pouvoir est en place depuis une durée maximale et que la démocratie est minimale. D'après ce modèle, la Libye de Mouammar Kadhafi était donc l'un des pays où la probabilité de guerre civile était la plus faible...
Au début des années 90, Georges-Yves Kervern propose donc une approche alternative, basée sur la propension des situations. La notion de situation avait en particulier été décrite par Karl Popper pour qui une situation réelle est unique et ne se reproduit jamais à l'identique. C'est là un constat initial fondamental quand on souhaite étudier des organisations humaines ou complexes.
Ainsi, les Cindyniques ont dépassé les représentations bi-dimensionnelles du risque (probabilité x gravité) et se sont efforcées de décrire la vulnérabilité des situations, définie comme la propension des situations à générer des dommages. Cette notion de propension apparaît comme un emprunt à Popper, qui voyait là des forces ou des champs de forces, mais plus profondément elle a été inspirée par la pensée stratégique de Sun Zu : la maîtrise des propensions est le concept central5 de son Art de la Guerre. Et vous ne pouvez pas véritablement comprendre l'Art de la guerre ou les Cindyniques sans comprendre le concept de maîtrise des propensions.
LÉVI-STRAUSS, Claude. Anthropologie structurale. Paris : Librairie Plon, 1958.
KERVERN, Georges-Yves. La théorie de la description appliquée à l’essentiel des cindyniques. avril 2005.