Il y a une dizaine d'années, la prohibition de l'anonymat ou du pseudonymat imposée par des réseaux sociaux comme Facebook ou le défunt Google+ a suscité une polémique, notamment aux États-Unis, où cette politique a été dénoncée en particulier par les communautés LGBT et amérindiennes. Ce type de prohibition entrave la liberté d'expression d'un certain nombre d'acteurs, dont, par exemple, ceux qui résident dans des pays autoritaires ou totalitaires. Et, parmi eux, des médecins, dont, par exemple, ceux qui souhaitent alerter le public sur le développement d'une épidémie.

En 2011, Randi Zuckerberg, soeur du fondateur de Facebook, souhaitait la fin de l'anonymat sur internet (pas seulement sur Facebook, mais sur l'ensembe d'Internet) au prétexte que cela favorisait les incivilités. Ce point de vue ignore que l'anonymat ou le pseudonymat sont nécessaires et légitimes pour prévenir les atteintes aux libertés d'expression des minorités, ou le harcèlement ou les violences physiques IRL. En creux : la politique de Facebook favorise ces comportements.

Dès 2012 le prétexte de la prévention du harcèlement online avancé par Google et Facebook est dénoncé: l'interdiction de l'anonymat n'élimine pas le cyberbullying, mais en revanche,  Google et Facebook sont décrits comme tirant des bénéfices substantiels de cette politique.

Le 27 décembre 2019, un laboratoire informe l'hopital de Wuhan de l'apparition d'un nouveau coronavirus. Le 30 décembre, les docteurs Ai Fen et Li Wenliang discutent de la situation sur des réseaux privés. Ai Fen sera convoquée et réprimandée par sa direction pour avoir "fait courir une rumeur et porté atteinte à la stabilité", et Li Wenliang et sept de ses confrères seront arrêtés et menacés par la police pour avoir informé des amis via les réseaux sociaux de l'existence d'une menace sanitaire.

S'il y a beaucoup à dire sur la censure opérée par les autorités chinoises lors du début de l'épidémie, et l'inévitable impact que cela aura sur sa diffusion, le point à retenir ici est qu'aucun médecin dans un pays autoritaire ne prendra le risque d'alerter de l'existence d'une menace de pandémie sur les réseaux sociaux si, à l'instar de Facebook, ceux-ci l'obligent à utiliser son vrai nom. La conséquence des politiques de prohibition du pseudonymat  est donc que ces médecins ont le choix entre aller en prison, ou cacher l'existence d'une épidémie.

S'agissant de liberté d'expression, même si le gouvernement chinois filtre les réseaux sociaux occidentaux depuis 2009, de toutes façons la politique de prohibition du pseudonymat imposée par Facebook ne pourrait que provoquer l'autocensure de ses utilisateurs en Chine. Nombre d'observateurs considèrent d'ailleurs comme paradoxale la proposition d'accéder à Facebook via tor : Quelle est la logique consistant à accéder anonymement à un réseau social qui impose l'utilisation de son vrai nom?

Dix ans plus tard et après plus de deux millions de décès dûs à la pandémie de covid-19, personne ne peut plus considérer les initiatives visant à la création d'un droit au pseudonymat comme un combat d'arrière garde.

 

Références et lien externes :

- Another Reason Facebook Wants a Web of Real Identities: Commerce

- Facebook Exec: Online Anonymity Must Go Away
- Randi Zuckerberg Runs in the Wrong Direction on Pseudonymity Online
- Google+ Identity Crisis: What's at Stake With Real Names and Privacy
- Facebook’s Randi Zuckerberg: Anonymity Online ‘Has To Go Away’
- Google CEO Schmidt: No Anonymity Is The Future Of Web
- Eric Schmidt On Privacy (VIDEO): Google CEO Says Anonymity Online Is ‘Dangerous’

- “Real Names” Policies Are an Abuse of Power
- Open Letter to Facebook About its Real Names Policy

- Facebook's 'Real Name' Policy Can Cause Real-World Harm for the LGBTQ Community . "Being able to connect a legal name with an online LGBTQ identity makes it much easier for not just stalkers and harassers, but dangerous abusers, to find people offline."
Another Facebook Zuckerberg Wants to Kill Off Anonymity. "Zuckerberg's argument to stop cyberbullying by doing away with digital anonymity could open the door to bullying and stalking in real life."

- Online ‘authenticity’ and how Facebook’s ‘real name’ policy hurts Native Americans
- The Switchboard: Facebook’s real name policy cause clashes with some gay and transgender users
- Facebook's 'real name' policy hurts real people and creates a new digital divide
- EFF, Facebook argue over 'real name policies'

- Coronavirus : comment l'alerte a été étouffée à Wuhan en décembre 2019
- En première ligne : Docteur Aï contre Monsieur Xi
- Coronavirus en Chine : une médecin qui a alerté sur l'épidémie aurait disparu
- A doctor was arrested for warning China about the coronavirus. Then he died of it