Le pseudonymat permet de garantir la sécurité, notamment physique, des auteurs publiant des livres ou postant des contributions sur internet. En France, l'affaire de la militante LGBT Mila démontre la nécessité d'écrire le droit au pseudonymat dans la loi, et d'interdire aux Big Techs, et en particulier à Facebook, d'imposer l'usage du nom réel sur les réseaux sociaux. Marlène Schiappa s'est exprimée en faveur de ce droit.

Ce problème illustre le phénomène de transduction des risques informationnels, qui deviennent des risques physiques ou vitaux: dans le cas de l'affaire Mila, qui subit des menaces de mort, la divulgation d'information d'identification et de localisation ont mené à sa déscolarisation et à la nécessité d'une protection policière permanente. Dans le cas d'un journaliste d'investigation qui publierait un livre dérangeant pour un pouvoir autocratique, une organisation non étatique ou des mouvances djihadistes, il pourrait être exécuté même s'il s'est réfugié dans un hôtel an Afrique du Sud.

Obtenir le droit au pseudonymat est donc un problème vital. En matière de droit, le pseudonymat ne doit pas être confondu avec l'anonymat: en France, il existe depuis des années déjà une législation imposant aux intermédiaires techniques de recueillir l'identité des auteurs de contribution sur internet, même s'il publient sous pseudonyme, afin que cette identité puisse être au besoin communiquée aux autorités judiciaires.

Mais en pratique, des sociétés comme Facebook imposent à leurs utilisateurs de publier sous leur nom réel, ce qui est dénoncé depuis des années, en particulier par des minorités.

Le même problème apparaît de fait pour les auteurs de livres qui souhaitent s'auto-éditer, soit parce qu'aucun éditeur ne s'intéresse à ce qu'ils écrivent, soit  parce que l'éditeur sollicité a subi des pressions politiques trans-nationales pour refuser un ouvrage particulier. Dans ce cas, ils doivent s'auto-éditer, mais cela mène à un nouveau risque : l'impossibilité pratique d'utiliser un pseudonyme. Pour certains d'entre eux, publier dans ces conditions revient à une condamnation à mort.

C'est le fonctionnement de l'AFNIL qui est responsable de cela : cette agence établie à Paris est responsable de l'attribution des numéros ISBN devant identifier chaque ouvrage commercialisé. Elle attribue ces ISBN aux auteurs français, belges, et à tous les auteurs des pays africains francophones.

Comme souvent, l'innovation technologique crée des lacunes, soit de connaissances, soit de réglementation : c'est ce qui s'est passé avec l'apparition de la possibilité de s'auto-éditer sur internet, par exemple avec les services d'Amazon. Traditionnellement, les auteurs s'adressaient à un éditeur, ce qui permettait de protéger le pseudonymat des auteurs, seule l'identification et la localisation de l'éditeur étant publique.

Et l'AFNIL propose un moteur de recherche sur son site afnil.org, permettant de retrouver les coordonnées des éditeurs à partir de n'importe quel ISBN. Le problème est que lorsque c'est un particulier qui veut s'éditer, l'AFNIL considère le particulier comme un éditeur comme un autre, et publie ses coordonnées dans son moteur de recherche, auquel tout individu sur terre peut accéder.

Autrement dit, le journaliste d'investigation devant auto-éditer une enquête dérangeante sous pseudonyme est obligé d'indiquer l'ISBN que l'AFNIL lui attribue au dos de son livre. L'entité dérangée par la publication n'a alors plus qu'à récupérer l'ISBN du livre et consulter le moteur de recherche de l'AFNIL, qui lui révèle l'identité de l'auteur. A partir de ce moment, la vie de cet auteur peut être en danger.

Il existe donc une lacune juridique, qui fait que l'application de règles existantes pour les éditeurs traditionnels sont appliquées sans discernement aux auteurs auto-édités, et cette lacune juridique crée des risques possiblement vitaux.

En pratique, si vous être un particulier souhaitant auto-éditer un livre vous devez remplir un formulaire sur le site de l'AFNIL: Comme l'indique cette archive de ce formulaire, l'AFNIL indique que si vous souhaitez utiliser un pseudonyme, votre nom et vos coordonnées ne seront pas publiés sur le site de l'AFNIL.

Cette affirmation est tout  simplement fausse. Une fois que vous avez obtenu vos ISBN, même en ayant spécifié à l'AFNIL que vous utilisez un pseudonyme et que vous ne souhaitez pas que vos coordonnées soient publiées, une simple recherche à partir des ISBN que vous avez obtenus donnera votre nom réel à n'importe quel internaute. C'est l'expérience que j'ai eue: après avoir obtenu mes ISBN je me suis rendu sur le moteur de recherche de l'AFNIL, j'ai indiqué mon segment ISBN ( 978-2-9579086) et l'AFNIL a immédiatement affiché mon nom réel.

Contactée, l'AFNIL a refusé de cesser de publier ces données personnelles en expliquant que l'agence a une obligation de diffusion de ces données : "Chaque agence ISBN doit permettre la recherche d'un éditeur (par son nom pour un particulier) via le registre éditeurs".

D'une part l'AFNIL affirme permettre aux auteurs auto-édités d'utiliser un pseudonyme et ne pas publier leurs données personnelles s'ils le souhaitent, et d'autre part elle publie globalement au moins leurs noms réels puisqu'elle considère qu'ils sont des éditeurs comme les autres: cela constitue manifestement une supercherie.

La sécurité des auteurs français et africains auto-édités pourrait être garantie par de nouvelles lois, adaptées à la réalité de l'évolution des usages et des techniques et affirmant le droit au pseudonymat réel et effectif. A défaut, nombre d'auteurs ne publieront pas, en particulier ceux pour qui cela mettrait leur vie en danger.